Partout, en tout lieu et en tout temps, avant même que l'écriture existe, les contes sont nés spontanément avec les hommes. Transmis oralement d'abord, la voix du conteur comme un écho à l'intensité du récit. Celui qui raconte témoigne, il est le dépositaire d'une histoire qui concerne les hommes. Plus étonnant encore, sur les 5 continents, avant même que naissent les premiers échanges entre groupes humains, les thèmes des contes sont les mêmes. Comme si une trame symbolique collective préexistait. Un creuset sans fond où dormiraient les grandes images de l'humanité. Prêtes à s'activer et à s'entichir à l'infini dès que le premier homme aura fait l'expérience de la vie.
Car c'est bien de la vie dont il s'agit dans les contes, la vie qui nourrit les hommes et les met au défi de s'animer. Le conte comme une expérience que l'on transmet, comme une mise en garde, comme un phare dans la nuit psychique.
Le conte contre l'immobilité psychique.
Vivre est-il dangereux? La plupart des contes s'articulent autour d'une quête, d'un chemin perdu ou qu'il faut trouver, d'épreuves à traverser pour passer de l'autre côté, en territoire apaisé. Il était une fois la vie et son cortège d'interrogations, de conflits, d'instincts, d'aspirations, de contradictions, de tentations, sa part d'ombre et de lumière, ses mouvements psychiques. Autant de forêts et de châteaux où se tapissent des monstres, où sont enfouis des trésors, autant de sorciers et de sorcières au double visage, porteurs de pommes empoisonnées ou d'armes magiques, autant de maléfices et de sortilèges à la croisée des chemins.
Dans le conte comme dans la vie, l'homme-héros doit prendre une décision, choisir une orientation. Il est confronté à sa double nature, écartelé entre des forces contraires. Le conte décrit toujours une situation conflictuelle: le conflit est déjà engagé ou il est imminent. Des forces en présence s'affrontent, deviennent agressives, la paix est menacée dans le royaume du héros La menace est souvent décrite comme venant de l'extérieur. Souvent le héros n'a pas encore pris conscience de ce qui se trame. Il subit la situation, voire il est endormi, parfois depuis cents ans. Plus que la vie, c'est l'immobilité qui est dangereuse, la non adaptation de la conscience aux mouvements de la vie psychique.
Le héros au royaume de l'Inconscient.
Plus vaste que la terre, les océans et le ciel réunis, plus vaste que ce que la conscience peut concevoir, les sens percevoir: le royaume de l'Inconscient. Univers sans contour, matrice universelle où s'entrelacent nos expériences, elle tisse une mémoire du vivant à l'ancien. La vie y palpite, sauvage, instinctive, impulsive, transcendantale, souterraine et lumineuse.
Argile originelle, elle s'insinue par tous les moyens jusqu'à notre conscience, affamée de lui communiquer ses images et son mouvement. Mystérieusement animé, ambassadeur voire précurseur de la vie, l'Inconscient se manifeste à nous et dans les contes sous des formes et des aspects changeants, revenant à la charge pour attirer l'attention du héros: il l'aborde sous les traits d'une fée ou d'une sorcière, l'appelle à entrer dans la forêt magique, frappe, sonne, se moque, se métamorphose, il n'a de cesse de transfuser ses contenus immémoriaux à la conscience, il veut sa participation. Le royaume de l'Inconscient ne veut pas de l'inconscience du héros. Il opère comme s'il savait, omniscient, la difficulté d'être un homme en équilibre et agissant. Véritable matériau psychique de secours, il intervient toujours dans les grands moments de la vie, dans les situations déterminantes. Il invite l'homme à circuler entre les deux mondes, celui de la conscience et du royaume, à s'unifier en transvasant les contenus de l'un à l'autre, à réaliser son destin personnel. C'est entre ses deux pôles que se déroulent les aventures du héros, à l'image de notre vie, à l'image de notre nature bipolaire.
Des images et des symboles pour langage.
Si en apparence le danger vient de l'extérieur dans les contes -sous la forme des "autres"-, il ne faut pas s'y tromper. A quelques exceptions près, le danger est toujours intérieur. Il vient de la mauvaise ou de la non adaptation du héros aux relations qu'il entretient avec lui-même et les autres. Les "autres" dans le conte sont autant d'aspects de notre personnalité qui s'ignorent les uns les autres, que la conscience n'a pas encore distingués et encore moins réunis. Ou encore ils représentent un "autre" symbolique dans notre relation avec lui ( père, mère, figure de l'autorité...). Immobilisme, fuite, ignorance, régression, inflation, stagnation, naïveté, soumission... les manquements à soi-même sont nos véritables erreurs dans le langage du conte et de l'Inconscient. Si le héros vole trop près du soleil il se brûle les ailes, s'il erre trop longtemps dans la nuit il s'enlise dans des marécages. L'objet de l'Inconscient n'est pas de nous donner une leçon de morale ou d'obéissance, ce n'est pas son affaire. Il nous invite au travers des contes à incarner notre vie, notre destin personnel. Même si ce dernier sort des sentiers battus. Même si la réalisation de soi passe par des périodes de nuit angoissante où le héros se sent écartelé. C'est en cela que l'homme est un héros, dans sa capacité à répondre à l'appel de sa vie psychique, à entrer dans la forêt initiatrice, à la découverte de lui. Au sortir de la forêt, après les combats, les retours en arrière, après la rencontre avec ses monstres intimes et la découverte de figures secourables, vient le temps symbolique du mariage ou des noces alchimiques: ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants. C'est le temps de la réconciliation avec soi-même, de l'intégration, du choix éclairé. La fécondation mutuelle de la conscience du héros et du royaume de l'Inconscient.
Aides-toi, deviens le héros de ta vie, l'Inconscient t'aidera.
Texte Le vent du changement - Crédit photos Pixabay
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Marie-claire Loyer-dolghin
Les mythologies antiques, les légendes et contes racontent, sous des aspects divers, cette communion de l'âme humaine et de l'âme du monde que l'évolution de nos sociétés a, en apparence, détruite. Pour rendre abordable le monde complexe de la psychologie jungienne, Marie-Claire Dolghin a utilisé le fil conducteur du déroulement des saisons, dans ce qu'il recèle de symbolisme, en rendant sensible le fait qu'une évolution psychologique n'est pas seulement intellectuelle mais aussi affective. Cette évolution, processus progressif qui, dans la nature, va des semailles à la moisson peut aboutir à un état nouveau qu'on peut qualifier de " guérison ". Ainsi, à chaque stade, le lecteur, rencontre, pour chaque saison, les sentiments qu'elle inspire, les traditions nées autour d'elle, les mythes qu'on peut y rattacher, et quelles transpositions psychologiques sont ainsi éclairées.