A la mémoire d'Henriette

In memory

09/04/2018

Le récit de la douleur ne sort pas par sa bouche mais par ses yeux. Soixante ans après, ses mains dans les miennes, les mots qu'elle me donne à entendre sont là pour cacher le viol. Pour qu'il ne la cloue pas une deuxième fois sur sa croix. C'est une histoire qu'elle n'a jamais dite. Elle l'a tenue à distance, tapie dans sa chair, comme une allusion à la possible monstruosité des hommes. Un voile gris tombe sur ses yeux. L'ombre qu'abandonnent les bourreaux derrière eux.    
Elle a eu 14 ans et des yeux aussi bleus que l'océan, insouciants de l'horreur à venir. Les yeux de la vie devant soi. Juste avant la guerre.
 
La guerre, on ne peut pas savoir ce que c'est si on n'a pas eu peur chaque jour que l'on vit. La peur, le manque, la perte, la disparition de la loi. La disparition de soi sous la morsure de la violence. La guerre qui étale au grand jour ce que les temps de paix essaient de contenir dans l'ombre. Un monde de monstres qui règlent leurs comptes. Un monde de monstres qui se servent, qui se gavent, y compris chez les leurs. Tous ceux-là passés du mauvais côté. Et on ne sait jamais pourquoi, ni quand ni comment ça s'arrêtera. Tous ceux-là qui ont pris le maquis et n'ont jamais vu un allemand. Qui attendaient la nuit pour sortir des forêts et prélever leur dû.
Personne ne disait rien. C'était les frères, les cousins, les fils du voisin.  
Ses yeux m'interrogent pour s'assurer que je comprends. Débordent de larmes qui tremblent. Elle ne dira rien d'autre.
Nos mains se serrent, si jeunes et si vieilles à la fois, les mains de la douleur des femmes.
Mélange tes larmes bleues aux miennes.

 

Crédit photo Pixabay - Récit le Vent du changement

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